La céramique se trouve par sa nature
sur le terrain de bataille du réenchantement du monde, et son
avenir, si incertain et fragile qu'il nous paraisse aujourd'hui est à
n'en pas douter arnaché à une lutte plus sourde en faveur de la
beauté comme valeur, face au marché flottant des critères qui
président actuellement aux destinées des œuvres d'art. Certes, de
sa main invisible, l'ambiance mouvante et frénétique du marché de
l'art, n'est pas incapable d’effleurer certains travaux sincères
et importants, mais elle ne cesse par ailleurs de les brasser dans un
bouillon obscure et pour le moins dissimulateur fait d’œuvres
pauvres faites par des artistes maniant trop bien les armes du
système.
Mais je ne voudrait pas verser dans
cette complainte lancinante qui hante le monde des céramistes depuis
quelque temps. Peut-être s'en défendraient-ils, mais leurs propos
transpirent néanmoins souvent cette aigreur, qui consiste à
s’abandonner à un complexe d’infériorité mal digéré en
déplorant sans cesse le statut mineur de la céramique en occident.
Ce malaise des céramiste tiens pour moi à un fait simple. Depuis
Bernard Leach les potiers européens ont basculé dans une autre
histoire de l'art, celle de l’extrême orient. En introduisant
l'esthétique japonaise en Europe et en dévoilant l'importance que
la céramique revêt dans les civilisations
Japonaises/Coréene/Chinoise, Leach a fait bifurquer a posteriori la
généalogie historique de l'art céramique européen. Depuis, les
céramiste se sentent appartenir à un petit monde clos, propre, à
coté, puisant ses racines dans un Japon lointain vécu comme une
terre promise où le potier est roi. Cet irruption de l'esthétique
japonaise nous a également ouvert les portes infinies de la création
en extirpant la céramique du schéma forme/décor où elle avait
toujours été enfermée, gonflant alors, presque sans mesure les
prétentions à l'expression des céramistes européens.
Se faisant donc prophète, Leach a
transformé les potiers en « juifs » de l'art : un
peuple élu, méprisé où qu'il soit. Et cet état inconfortable,
largement supportable durant les décennies fastes de la fin du XXème
qui ont vu fleurir un marché de la céramique, apparaître des
collectionneurs et des institutions dédiées et où la population
des céramistes était encore limitée, apparaît aujourd'hui dans sa
plus transparente vérité alors que l'on se lasse de la beauté du
Raku, des traces de flamme ou des déformations volontaires. On
comprend donc le ressentiment qui peut naître chez ces céramistes,
trop conscients de l'importance de leur tâche, à la vue de travaux
« arrivés » à la céramique et qui jouent avec elle
comme ils jouent avec le plâtre ou la résine, au mépris d'une
culture quinze fois millénaire. C'est oublier une chose. L'infini
s'explore par vagues successives. Partant d'un point on cartographie
le voisinage proche. Jusqu'à ce que l'on soit trop loin du camp de
base. Il faut alors envisager de le déplacer. La terre est un
matériaux sans borne qui ouvre sur l'infini. Peut-être parce que le
bout de terre que je tiens dans ma main est fort des milliards de
tonnes qui sont sous mes pieds. Il est certainement temps d'explorer
pour trouver de la profondeur ailleurs.
Peut-être que le mythe du céramiste
comme artiste dédié à son matériau est en train de mourir mais la
céramique, elle, tient une forme éclatante. Et quelles que soient
les nouvelles approches dont elle fait l'objet il convient de juger
l'artiste sur son travail et pas seulement sur le lieu qu'il occupe
ou le mouvement historique qui le porte. Je trouve les travaux de
Michel Gouéry et de Johan Creten merveilleux et je me fiche qu'ils
soient céramistes ou plasticien. Ce dont souffre peut-être le plus
l'art contemporain c'est de la distance qui le sépare de la
possibilité d'une réelle critique pour laquelle chaque individu est
compétant. Une telle critique ne s'intéresse pas uniquement à ce
qui entoure l'artiste et le définit. Elle cherche le singulier et
l'authenticité de son travail pour y trouver ou non de la
beauté. Perdre cela de vue et c'est abandonner l’œuvre aux
logiques formelles du marché.
Or c'est précisément cette faculté
presque intrinsèque de la céramique à tisser nécessairement un
fil que le cœur comprend, à se cheviller la beauté au corps, qui
fait d'elle une bouée à la surface d'un art contemporain
déboussolé. Ici on ne peut pas mentir ou très difficilement, une
œuvre céramique se jugera toujours au moins en partie sur sa beauté
or s'il est une valeur qui, à travers les âges à bien gardée sa
vigueur jusqu'à cette heure troublée c'est encore celle-ci ( Une
céramique nostalgiste aurait peut-être préféré le Sublime... ).
Beaucoup de choses peuvent nous sembler belles, qu'ils s'agisse
d’œuvres plastiques, sonores, narratives ou conceptuelles sans
parler d'objets naturels. Mais il est certain que la notion de beauté
renferme la possibilité d'un accès direct et libre comme un noyau
autonome et privé autour duquel la culture et la critique peut venir
bâtir un monument pour l'entretenir et le faire grandir.
Le XXIème siècle sera peut-être
religieux (Faut-il avoir peur des céramistes intégristes ?),
mais il ne manquera pas de retrouver la recherche du beau, dans une
sorte de troisième voie naissante, assumant d'une part le contexte
réticulaire du postmodernisme et sa dissolution des courants et
autres avant gardes dans une accumulation de personnalités
singulières ; et d'autre part le retour puissant d'une démarche
authentique et esthétique. On en devine les prémisse à travers le
dynamisme de la jeune peinture, de la micro édition (fanzines et
dessin contemporain), la revalorisation d'un art singulier et
populaire dans des revues telles que « Hey ! » du
succès d'expositions hybrides comme « Métissages » aux
beaux-arts de Lyon, etc. Et dans cette construction bruyante et
silencieuse, il n'est pas certain que des artistes contemporains ne
se dissolvent pas dans la céramique.
En lien:
le numéro d'artpress 2 de décembre 2013
"la céramique au dela de la céramique"
Le blog de Nicole Esterole,
article/débat:
http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/2014/01/27/la-ceramique-est-elle-soluble-dans-lart-contemporain/
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