samedi 12 avril 2014

Céramique et art contemporain


La céramique se trouve par sa nature sur le terrain de bataille du réenchantement du monde, et son avenir, si incertain et fragile qu'il nous paraisse aujourd'hui est à n'en pas douter arnaché à une lutte plus sourde en faveur de la beauté comme valeur, face au marché flottant des critères qui président actuellement aux destinées des œuvres d'art. Certes, de sa main invisible, l'ambiance mouvante et frénétique du marché de l'art, n'est pas incapable d’effleurer certains travaux sincères et importants, mais elle ne cesse par ailleurs de les brasser dans un bouillon obscure et pour le moins dissimulateur fait d’œuvres pauvres faites par des artistes maniant trop bien les armes du système.
Mais je ne voudrait pas verser dans cette complainte lancinante qui hante le monde des céramistes depuis quelque temps. Peut-être s'en défendraient-ils, mais leurs propos transpirent néanmoins souvent cette aigreur, qui consiste à s’abandonner à un complexe d’infériorité mal digéré en déplorant sans cesse le statut mineur de la céramique en occident. Ce malaise des céramiste tiens pour moi à un fait simple. Depuis Bernard Leach les potiers européens ont basculé dans une autre histoire de l'art, celle de l’extrême orient. En introduisant l'esthétique japonaise en Europe et en dévoilant l'importance que la céramique revêt dans les civilisations Japonaises/Coréene/Chinoise, Leach a fait bifurquer a posteriori la généalogie historique de l'art céramique européen. Depuis, les céramiste se sentent appartenir à un petit monde clos, propre, à coté, puisant ses racines dans un Japon lointain vécu comme une terre promise où le potier est roi. Cet irruption de l'esthétique japonaise nous a également ouvert les portes infinies de la création en extirpant la céramique du schéma forme/décor où elle avait toujours été enfermée, gonflant alors, presque sans mesure les prétentions à l'expression des céramistes européens.
Se faisant donc prophète, Leach a transformé les potiers en « juifs » de l'art : un peuple élu, méprisé où qu'il soit. Et cet état inconfortable, largement supportable durant les décennies fastes de la fin du XXème qui ont vu fleurir un marché de la céramique, apparaître des collectionneurs et des institutions dédiées et où la population des céramistes était encore limitée, apparaît aujourd'hui dans sa plus transparente vérité alors que l'on se lasse de la beauté du Raku, des traces de flamme ou des déformations volontaires. On comprend donc le ressentiment qui peut naître chez ces céramistes, trop conscients de l'importance de leur tâche, à la vue de travaux « arrivés » à la céramique et qui jouent avec elle comme ils jouent avec le plâtre ou la résine, au mépris d'une culture quinze fois millénaire. C'est oublier une chose. L'infini s'explore par vagues successives. Partant d'un point on cartographie le voisinage proche. Jusqu'à ce que l'on soit trop loin du camp de base. Il faut alors envisager de le déplacer. La terre est un matériaux sans borne qui ouvre sur l'infini. Peut-être parce que le bout de terre que je tiens dans ma main est fort des milliards de tonnes qui sont sous mes pieds. Il est certainement temps d'explorer pour trouver de la profondeur ailleurs.
Peut-être que le mythe du céramiste comme artiste dédié à son matériau est en train de mourir mais la céramique, elle, tient une forme éclatante. Et quelles que soient les nouvelles approches dont elle fait l'objet il convient de juger l'artiste sur son travail et pas seulement sur le lieu qu'il occupe ou le mouvement historique qui le porte. Je trouve les travaux de Michel Gouéry et de Johan Creten merveilleux et je me fiche qu'ils soient céramistes ou plasticien. Ce dont souffre peut-être le plus l'art contemporain c'est de la distance qui le sépare de la possibilité d'une réelle critique pour laquelle chaque individu est compétant. Une telle critique ne s'intéresse pas uniquement à ce qui entoure l'artiste et le définit. Elle cherche le singulier et l'authenticité de son travail pour y trouver ou non de la beauté. Perdre cela de vue et c'est abandonner l’œuvre aux logiques formelles du marché.
Or c'est précisément cette faculté presque intrinsèque de la céramique à tisser nécessairement un fil que le cœur comprend, à se cheviller la beauté au corps, qui fait d'elle une bouée à la surface d'un art contemporain déboussolé. Ici on ne peut pas mentir ou très difficilement, une œuvre céramique se jugera toujours au moins en partie sur sa beauté or s'il est une valeur qui, à travers les âges à bien gardée sa vigueur jusqu'à cette heure troublée c'est encore celle-ci ( Une céramique nostalgiste aurait peut-être préféré le Sublime... ). Beaucoup de choses peuvent nous sembler belles, qu'ils s'agisse d’œuvres plastiques, sonores, narratives ou conceptuelles sans parler d'objets naturels. Mais il est certain que la notion de beauté renferme la possibilité d'un accès direct et libre comme un noyau autonome et privé autour duquel la culture et la critique peut venir bâtir un monument pour l'entretenir et le faire grandir.
Le XXIème siècle sera peut-être religieux (Faut-il avoir peur des céramistes intégristes ?), mais il ne manquera pas de retrouver la recherche du beau, dans une sorte de troisième voie naissante, assumant d'une part le contexte réticulaire du postmodernisme et sa dissolution des courants et autres avant gardes dans une accumulation de personnalités singulières ; et d'autre part le retour puissant d'une démarche authentique et esthétique. On en devine les prémisse à travers le dynamisme de la jeune peinture, de la micro édition (fanzines et dessin contemporain), la revalorisation d'un art singulier et populaire dans des revues telles que « Hey ! » du succès d'expositions hybrides comme « Métissages » aux beaux-arts de Lyon, etc. Et dans cette construction bruyante et silencieuse, il n'est pas certain que des artistes contemporains ne se dissolvent pas dans la céramique.

 En lien:

le numéro d'artpress 2 de décembre 2013
"la céramique au dela de la céramique"

Le blog de Nicole Esterole,
article/débat:
 http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/2014/01/27/la-ceramique-est-elle-soluble-dans-lart-contemporain/

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