samedi 12 avril 2014

Méchant Lapin


Peu d'animaux se prêtent aussi bien à cet écartèlement iconographique et c'est ce qui fait peut-être sa réelle docilité; le Lapin s'est d'abord plié à cette image de mignon défaillant, pusillanime et doux avant d'enfiler le costume rose du queutard Durracell. Le lapin, comme un élastique poisseux ne se laisse pas saisir aisément et semble toujours vouloir basculer dans la caricature de lui-même ou dans les plus absurdes conversions (distribuer des œufs de Pâques!?). Peut-être y a-t-il entre le lapin et nous, à une distance suffisante pour qu'on ne puisse en connaître la véritable nature, quelque chose qui nous terrifie et que l'on cherche à maquiller grossièrement.
Même Dürer qui, parmi les premiers êtres humains au monde à tenter de représenter une chose avec la plus crue fidélité (c'est à dire en ne posant sur le papier que des équivalents d'ombres et de couleurs perçus par sa rétine), s'est frotté à l'image du lapin, n'a pu repousser quelque chose qui, au delà de sa volonté comme de celle de la pauvre bête, surgit de cette image et nous semble profondément démoniaque.
Bien sûr, il y a quelque chose de suspect à être et demeurer faible. Bien sûr que nous culpabilisons de manger ces pauvres bêtes et bien sur que c'est drôle de transformer l'image d'une valeur en son inverse (le chevalier peureux, le savant-fou, la belle qui pue des pieds...). Mais cela suffit-il à expliquer qu'il soit si facile de superposer l'image du lapin et celle du mal absolu ?
Ce qu'il y a d’intéressant chez le méchant c'est ce qu'il implique que l'on devienne pour le vaincre et par là même à quel fantasme il autorise de succomber en toute licence .
Le méchant classique exige que l'on devienne un héro, brave, intelligent et fort, ce qui représente à l'évidence un désir de séduction ou de reconnaissance sociale.
L'arrivée de super-méchant nous obligea à nous imaginer super-héro, un être doué de pouvoirs surnaturel flattant ainsi notre fantasme de nous extraire d'un monde trop complexe où l'on se sent impuissant.
Arrivent les zombies qui offrent sur un plateau au WASP névrosé moyen la possibilité d'assouvir ses instincts de meurtre (les zombies sont humains voire même des anciens amis!),sans culpabilité (légitime défense) sans faute (ils sont déjà mort) sans difficulté excessive (ils sont lents).
Il existe de nombreuse sortes de méchants passionnants mais revenons à celui qui nous intéresse. Le méchant lapin, afin d'être vaincu, à besoin qu'on lui ôte sa peau de méchant pour retrouver sa tendresse crue de lapin. Il nous faudra pour cela devenir plus méchant encore et faire de ce maléfice poilu une pauvre et faible victime, un mignon petit lapin, et accepter de souiller de sang sa belle fourrure blanche. Le programme du Méchant Lapin est de flatter ce qui au plus profond de nos âmes charitables éprouve une vive jubilation à contempler la souffrance et la souillure d'un Gentil Petit Être et de nous permettre à notre tour, et en toute bonne conscience, de devenir le Grand Méchant Loup .

 Lièvre, Aquarelle (1502),Albrecht Dürer



"Doubt", manga de Yoshiki Tonogai.
"Rabbit Doubt fait fureur au Japon: dans ce jeu sur téléphone portable, des lapins doivent débusquer le loup qui se cache parmi eux. Quant au loup il doit utiliser tous les subterfuges possibles pour semer la confusion dans le groupe et éliminer un par un tous ses adversaires..."

"Sacré Graal", Monty Python


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire