Peu
d'animaux se prêtent aussi bien à cet écartèlement iconographique et
c'est ce qui fait peut-être sa réelle docilité; le Lapin s'est
d'abord plié à cette image de mignon défaillant, pusillanime et
doux avant d'enfiler le costume rose du queutard Durracell. Le lapin,
comme un élastique poisseux ne se laisse pas saisir aisément et
semble toujours vouloir basculer dans la caricature de lui-même ou
dans les plus absurdes conversions (distribuer des œufs de
Pâques!?). Peut-être y a-t-il entre le lapin et nous, à une
distance suffisante pour qu'on ne puisse en connaître la véritable
nature, quelque chose qui nous terrifie et que l'on cherche à
maquiller grossièrement.
Même
Dürer qui, parmi les premiers êtres humains au monde à tenter de
représenter une chose avec la plus crue fidélité (c'est à dire en
ne posant sur le papier que des équivalents d'ombres et de couleurs
perçus par sa rétine), s'est frotté à l'image du lapin, n'a pu
repousser quelque chose qui, au delà de sa volonté comme de celle
de la pauvre bête, surgit de cette image et nous semble profondément
démoniaque.
Bien
sûr, il y a quelque chose de suspect à être et demeurer faible.
Bien sûr que nous culpabilisons de manger ces pauvres bêtes et bien
sur que c'est drôle de transformer l'image d'une valeur en son
inverse (le chevalier peureux, le savant-fou, la belle qui pue des
pieds...). Mais cela suffit-il à expliquer qu'il soit si facile de
superposer l'image du lapin et celle du mal absolu ?
Ce
qu'il y a d’intéressant chez le méchant c'est ce qu'il implique
que l'on devienne pour le vaincre et par là même à quel
fantasme il autorise de succomber en toute licence .
Le
méchant classique exige que l'on devienne un héro, brave,
intelligent et fort, ce qui représente à l'évidence un désir de
séduction ou de reconnaissance sociale.
L'arrivée
de super-méchant nous obligea à nous imaginer super-héro, un être
doué de pouvoirs surnaturel flattant ainsi notre fantasme de nous
extraire d'un monde trop complexe où l'on se sent impuissant.
Arrivent
les zombies qui offrent sur un plateau au WASP névrosé moyen la
possibilité d'assouvir ses instincts de meurtre (les zombies sont
humains voire même des anciens amis!),sans culpabilité (légitime
défense) sans faute (ils sont déjà mort) sans difficulté
excessive (ils sont lents).
Il
existe de nombreuse sortes de méchants passionnants mais revenons à
celui qui nous intéresse. Le méchant lapin, afin d'être vaincu, à
besoin qu'on lui ôte sa peau de méchant pour retrouver sa tendresse
crue de lapin. Il nous faudra pour cela devenir plus méchant encore
et faire de ce maléfice poilu une pauvre et faible victime, un
mignon petit lapin, et accepter de souiller de sang sa belle fourrure
blanche. Le programme du Méchant Lapin est de flatter ce qui au plus
profond de nos âmes charitables éprouve une vive jubilation à
contempler la souffrance et la souillure d'un Gentil Petit Être et
de nous permettre à notre tour, et en toute bonne conscience, de
devenir le Grand Méchant Loup .
Lièvre, Aquarelle (1502),Albrecht Dürer
"Doubt", manga de Yoshiki Tonogai.
"Rabbit Doubt fait fureur au
Japon: dans ce jeu sur téléphone portable, des lapins doivent débusquer
le loup qui se cache parmi eux. Quant au loup il doit utiliser tous les
subterfuges possibles pour semer la confusion dans le groupe et éliminer
un par un tous ses adversaires..."
"Sacré Graal", Monty Python
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire